Football : Andrés Iniesta, la révérence d’un artiste
A 40 ans, le milieu espagnol a fait ses adieux à sa vie de footballeur, clôturant une carrière où il a tutoyé le sublime et s’est imposé comme l’un des meilleurs joueurs de l’histoire.
L’annonce avait été savamment préparée. C’est aussi l’honneur des plus grands que de pouvoir choisir la manière dont ils veulent dire au revoir. Andrés Iniesta aurait aimé le faire sur un terrain mais son amour du jeu l’a poussé à étirer le plaisir aussi loin que possible, jusqu’à atteindre ses 40 ans. On pourra regretter qu’il n’ait pas clôt sa vie de footballeur ce soir de mai 2018 au Camp Nou, qu’il ne quitterait que tard dans la nuit après en avoir profité seul assis à contempler ses tribunes immenses. Ce jour-là, il avait été célébré comme il se doit par ses coéquipiers et adversaires dans un stade énamouré.
La réussite d’Andrés Iniesta aura été d’enchanter les spectateurs par la grâce d’une technique suave et délicate, de régaler ses partenaires par ses passes lumineuses et d’écœurer ses adversaires, las de chercher à attraper un joueur insaisissable capable de se sortir des tenailles les plus étriquées d’un contrôle ou une accélération. Surtout, il aura su faire l’unanimité, acclamer sur tous les terrains jusqu’au Santiago-Bernabéu, l’antre du Real Madrid qui lui offrit une standing ovation seulement accordée à deux autres blaugranas dans l’histoire : Diego Maradona et Ronaldinho. Un honneur réservé aux géants pour ce petit homme providentiel au teint pâle. "Beaucoup se sont démarqués, mais Andrés est merveilleux à voir jouer. Ses gestes, son sens de l'anticipation... C'est un artiste du football, un génie. Il transforme un sport parfois rustre en une chose subtile, tel un peintre", a dit un jour de lui Luis Enrique, sous le charme de celui qui fut tout à la fois son coéquipier à ses débuts, son entraîneur ensuite et enfin son sélectionneur.
Buteur éternel
Si ses qualités de joueur ont conquis tous les amoureux du jeu, c’est un but qui l’a fait entrer dans le cœur de tous les Espagnols. Un but entré dans la légende du football espagnol au bout d’une interminable et étouffante nuit d’été. Là, dans la deuxième partie de la prolongation et alors que la finale de la Coupe du monde 2010 semble promise de se dénouer aux tirs au but, Andrés Iniesta surgit dans la surface néerlandaise et d’une volée d’un équilibre parfait, propulsa le ballon dans le but néerlandais. Une frappe pour l’éternité et installée définitivement la Roja au sommet du football mondial. "Je savais exactement comment je devais tirer et, en même temps, je savais que je devais être très rapide. Le destin a fait que le ballon est allé là où il devait aller. Ce fut un moment magique", dira le buteur éternel qui dans une course folle retira ensuite son maillot pour rendre hommage à son ami Dani Jarque, décédé d’une crise cardiaque un an plus tôt. Un geste que personne n’oublia ensuite, et surtout pas l’Espanyol Barcelone qui malgré la rivalité avec les Blaugranas a gardé le T-shirt porté ce jour-là par le milieu barcelonais. Une illustration du don qu’avait Iniesta a rassemblé autour de sa personne.
Ce moment de grâce ne fut pas le seul d’une carrière où il se sera aussi distingué par sa capacité à être décisif dans les moments les plus cruciaux. En 2009, il avait fait basculer les supporters du FC Barcelone dans une liesse inouïe quand au bout du temps additionnel, il décocha une frappe lumineuse dans la lucarne de Petr Cech, un éclair dans la nuit de Stamford Bridge, pour égaliser contre Chelsea et envoyer le club catalan en finale de la Ligue des champions. Une finale dont il serait l’un des acteurs majeurs déjà. "Je ne suis pas obsédé par Messi. C'est Iniesta qu'il faut arrêter", avait déclaré alors Sir Alex Ferguson, l’entraîneur de Manchester United, avant la rencontre. Une menace bien identifiée. Interdit de frapper car touché à la cuisse, il avait adressé une passe décisive sur l’ouverture du score de Samuel Eto’o et lancé le Barça vers son 3e sacre européen. En 2012, c’est encore lui qui improvisait un récital à l’Euro 2012 ponctué par un chef d’œuvre individuel et collectif en finale contre une Italie dépassée (4-0). "Je n’ai jamais pu imaginer que je serai ici un 1er juillet à remporter mon deuxième Euro, je n’ai jamais pensé que je gagnerai autant de trophées, mon but c’était d’être joueur pro, de m’amuser dans mon métier", avait-il avoué alors, lui le seul joueur de l’histoire avoir été désigné homme du match en finale de la Coupe du Monde, de l'Euro et de la Ligue des champions.
Forgé par la Masia
En effet, rien ne laissait présager que ce gamin du village de Fuentealbilla en banlieue d’Albacete allait ainsi marquer l’histoire du football. Son talent l’a pourtant rapidement amené à quitter le cocon familial. C’est à Barcelone qu’il trouva finalement refuge autant pour se former au jeu que pour grandir en qualité d’homme. "La Masía m'a changé pour toujours", a-t-il avoué ce mardi 8 octobre, lui qui aurait pu atterrir au Real Madrid, plus proche géographiquement. Le quartier malfamé où était implanté le centre de formation madrilène avait fini de convaincre le clan Iniesta de ne pas donner suite. Dans la pépinière catalane, il y a appris une façon de concevoir le football dans l’héritage de la vision des Pays-Bas des années 1970 et de Johan Cruijff, figure tutélaire en Catalogne, une philosophie en accord avec ses qualités techniques au-dessus de la normale.
Débarqué en 1996 à l’âge de 12 ans, il ne met que trois ans à se faire remarquer. "J'ai vu un gamin de 14 ans qui lit mieux le jeu que moi", a ainsi dit Pep Guardiola en le découvrant, avant de prendre à part Xavi, avec qui il jouait en équipe première pour lui parler de ce jeune si stupéfiant. "Vous allez me mettre à la retraite. Ce garçon va tous nous mettre à la retraite", avait alors prédit la tête pensante de la Dream Team. Il laissera effectivement les clés du milieu de terrain barcelonais aux deux hommes, qui formeront le cœur du réacteur blaugrana, l’âme d’une formation devenue sous la direction de Guardiola (2008-2012) l’une des plus dominantes et fortes de l’histoire. Si Xavi était le métronome, Iniesta était l’accélérateur de particule (un de ses surnoms), celui qui emballait le rythme par ses prises de balle et sa conduite. Il n’y avait rien de superflu dans son jeu, simplement les choix et les gestes justes pour aider son équipe.
"Il est comme Roger Federer"
De 2002, quand Louis van Gaal lui offrir ses débuts professionnels à 18 ans, à 2018, Andrés Iniesta rafla tout avec le FC Barcelone, un total de 32 trophées dont 4 Ligue des champions et 9 Liga. Un palmarès hors norme pour un joueur qui l’était tout autant. "Techniquement, c'est le joueur le plus parfait que j'aie jamais vu. Il fait en sorte que les choses les plus difficiles aient l'air si faciles. Il est comme Roger Federer : il réussit des choses exceptionnelles et ne transpire pas", s’émerveillait Vicente del Bosque. "C'est un exemple pour n'importe qui. Jamais un mauvais geste ni un mot de travers", enchérissait Luis Enrique, qui avait pris le jeune Iniesta sous son aile à son arrivée en équipe première, louant autant son parcours que son état d’esprit.
"Je me sens très fier de tout le voyage avec toutes les personnes qui m'ont accompagné. Je me sens très heureux d'avoir réalisé le rêve d'être footballeur. C'était ce que je voulais le plus. C'a été comme un conte car j'ai vécu les meilleures choses sur le plan humain et professionnel", a-t-il dit lors de ses adieux à Barcelone ce mardi 8 octobre au bout de son voyage de footballeur, salué par une standing ovation. Andrés Iniesta était bien plus qu’un joueur. Il était l’incarnation d’une certaine esthétique, un héros ordinaire porté par son amour du jeu, un artiste inégalable dont les arabesques resteront à jamais dans les mémoires.