Jannik Sinner, quatre questions pour une suspension
Après plusieurs mois de controverse, l'Italien Jannik Sinner a été suspendu samedi pour trois mois par l'Agence mondiale antidopage. Retour en quatre questions sur l'affaire qui secoue le monde du tennis.
Près d'un an après son contrôle positif, Jannik Sinner est cette fois mis à l'écart du circuit ATP. L'Italien a été suspendu trois mois a annoncé samedi dernier l'Agence mondiale antidopage (AMA). En mars 2024, Sinner avait été déclaré positif au clostébol, une substance jugée dopante et interdite. Le joueur n'avait eu de cesse de plaider la négligence de son physiothérapeute, qui l'aurait contaminé par voie cutanée suite à l'utilisation d'un spray. Il avait ainsi fait appel de sa suspension provisoire et avait été dans un premier temps innocenté par un tribunal indépendant.
Pourquoi cette sanction ?
L'Agence mondiale antidopage avait fait appel de cette sanction, ouvrant la voie à une nouvelle procédure. James Fitzgerald, porte-parole de l'Agence mondiale antidopage, avait avancé au quotidien transalpin La Stampa que "la conclusion 'ni faute ni négligence' n'est pas correcte au regard des règles actuelles" et avait assuré que l'instance demanderait une suspension d'un à deux ans. Avant finalement de communiquer samedi dernier sur un accord trouvé avec le numéro un mondial pour une suspension de trois mois, à compter du 4 février.
Quelles sont les réactions à la suspension ?
La décision a fait l'objet de vives critiques au sein du monde la balle jaune, et plus largement du sport. La position de l'AMA, exprimant sa volonté d'intransigeance avant d'abonder la version du joueur, a crispé un peu plus les débats autour du dossier Sinner. Le voir suspendu alors que l'Agence mondiale antidopage a reconnu que le joueur n'avait "pas tenté de se doper" a aussi suscité l'étonnement, alors que le Tribunal arbitral du sport avait été saisi et devait rendre son verdict les 16 et 17 avril prochain. "Ce cas était à mille lieues du dopage" a déclaré le directeur juridique de l'AMA Ross Wenzel à la BBC.
Triple vainqueur en Grand Chelem, le Suisse Stan Wawrinka avait exprimé son écœurement, "je ne crois plus au sport propre…" avait-il réagi sur X. "Triste journée pour le tennis. L'équité dans le tennis n'existe pas" avait lui estimé l'Australien Nick Kyrgios. "Ce n'est pas bon pour notre sport, c'est certain" avait pour sa part déploré Novak Djokovic en conférence de presse avant le tournoi de Doha. "Quand j'en parle dans les vestiaires, il y a une sorte de consensus depuis plusieurs mois. La majorité des joueurs ne trouve pas ça juste. Il y a une impression de favoritisme. On dirait que si vous êtes un "top player" et que vous avez accès aux meilleurs avocats, vous pouvez influencer le résultat. Pour l'instant, je sens que plus personne n'a confiance dans ce système. Je crois que le temps est venu de revoir tout le système car il a prouvé qu'il ne fonctionnait plus."
Quelles conséquences pour Jannik Sinner ?
Depuis le 4 février, Jannik Sinner n'est plus autorisé à prendre part à une compétition ce jusqu'au 4 mai, ni à s'entraîner officiellement jusqu'au 13 avril. Cette dernière disposition tient plus de l'élément de langage puisque le règlement de l'AMA n'empêche pas un sportif de s'entraîner en privé, ou de fréquenter des salles de sport publiques.
Sinner va ainsi voir son calendrier de la première partie de saison amputée de quatre Masters 1000 (Indian Wells et Miami sur dur, Monte-Carlo et Madrid sur terre battue). Mais il pourra être de retour au cours de la saison sur ocre, pour son tournoi "à domicile" à Rome, ce qui n'a pas manqué par ailleurs de faire jaser. Au Foro Italico, le vainqueur de l'Open d'Australie fin janvier pourra entamer sa préparation à Roland-Garros, auquel il pourra prendre part à partir du 25 mai prochain.
L'Agence mondiale antidopage n'a par ailleurs demandé aucune annulation de résultats, ou de restitution des gains obtenus par Jannik Sinner depuis ses deux contrôles positifs en mars 2024,
Peut-il perdre sa place de numéro un mondial ?
C'est la seule vraie perte garantie pour Jannik Sinner. Le joueur de 23 ans va voir 1600 points glanés la saison passée (1000 de son titre à Miami, 400 de sa demi-finale à Monte-Carlo, 200 de son quart de finale à Madrid) s'envoler. C'est beaucoup et peu à la fois, eu égard à son total actuel de 11 330 points, immaculé à cet instant malgré sa suspension. Surtout, son avance en tête du classement ATP lui offre un matelas de sécurité confortable. Sinner compte 3200 points d'avance sur l'Allemand Alexander Zverev (8135) et 3920 sur l'Espagnol Carlos Alcaraz (7410).
Le patron du circuit reviendra sur les courts avec 9730 points en mai, obligeant ses deux poursuivants à effectuer une moisson XXL pour espérer renverser la hiérarchie. SI on lui retranche les points qu'il a lui-même à défendre, Zverev aurait environ 2500 points à aller chercher durant la suspension de Sinner pour le déloger. Soit deux sacres sur les quatre Masters 1000 que va manquer le joueur du Trentin, et un ATP 500, soit durant sa tournée sud-américaine sur terre à Rio ou Acapulco, soit devant son public à Munich mi-avril. Ce ne sera pas une mince affaire pour un joueur vainqueur de deux tournois sur toute la saison 2023 comme lors de celle 2024.
Pour Carlos Alcaraz, redevenir numéro un mondial passerait par un parcours quasi sans faute jusqu'à la mi-mai, avec 3720 points à rattraper sur Sinner. Cela passerait là aussi par (au moins) deux titres en Masters 1000, possiblement Indiana Wells, dont il est double tenant du titre, et Madrid qu'il a remporté en 2022 et 2023. Voire un troisième, à Miami, voire à Monte-Carlo. Ce à quoi il faudrait encore ajouter une victoire en ATP 500 (Doha cette semaine, ou Barcelone du 14 au 20 avril) et une autre demi-finale lors du seul Masters 1000 qu'il n'aurait pas conquis. L'exploit justifierait alors de devancer Jannik Sinner comme numéro un mondial. Mais voir l'Italien conserver son dû pour son retour à la compétition semble le scénario le plus probable.